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CHRONIQUES
SUR FRANCE INTER

Théophile Minuit avec sa chronique hebdomadaire dans l'émission de Serge Le Vaillant Sous les étoiles exactement : Le bon Docteur Théo prétend soigner le monde grâce aux années 70 dont il n'est lui-même pas tout à fait guéri.
On se méfie. On a raison.

CHAGRIN

Aujourd'hui est un grand jour :
je me propose de faire gagner un disque à chaque auditeur.
Que la direction de Radio France ne s'affole pas, je prends personnellement en charge tous les frais de l'opération.
Question : qu'emporteriez-vous sur une île déserte ?
Réponse : j'emporterais la chanson de l'océan.
Quelle bonne idée ! Et pourquoi pas du sable au Sahara ou un flacon de vide dans l'espace ?
Je veux dire que j'emporterais Sea Song de Robert Wyatt.
Robert Wyatt était le batteur de Soft Machine.
Au début des années 70, Il a perdu l'usage de ses jambes.
Alors il s'est vu pousser des ailes en forme de nageoire.
Du fin fond de son désespoir, il nous a remonté Rock Bottom qui est le plus bel album du monde intérieur.
La chanson d'ouverture a pour titre : Sea Song.
On y entend le chant des sirènes.
La voix de Robert Wyatt est celle d'un ange : dématérialisée à souhait, belle comme un chagrin apprivoisé.
Car ce qu'on emporte sur une île déserte, c'est avant tout son propre chagrin.
On part avec sa peau de chagrin pour qu'elle réduise jusqu'à disparaître et quand on a fait peau neuve il nous reste ces quelques cicatrices auxquelles on tient comme à la prunelle des yeux de notre âme.
Même changée en cuirasse, la peau demeure notre interface sensible.
Elle nous contient, elle nous raconte, alors que notre chagrin nous définit.
La peau, c'est aussi les éléments de batterie que Robert Wyatt frappe désormais avec ses mains, et nous croyons entendre les battements de son cœur mis à nu.
Oui mais alors ce disque, c'est quand qu'on le gagne ?
Attendez ! Attendez qu'une occasion se présente, par exemple une conversation entre amis sur les choses de la vie.
Vous glisserez mine de rien :
« question chagrin, j'ai donné ; aujourd'hui je suis caparaçonné ».
On ne manquera pas de vous reprendre :
« On dit carapaçonné ».
Vous resterez sur vos positions et n'hésiterez pas à parier un disque.
Après vérification dans le dictionnaire, il apparaîtra qu'on ne dit pas carapaçonné pour la carapace, mais bien caparaçonné pour le caparaçon ( qui était la cuirasse du cheval au temps jadis).
Vous voilà enrichi d'un nouveau mot et bientôt d'un album aussi incontournable que le chagrin.
Pouvait-on vous faire plus beau cadeau ?
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


RUBAN

Aujourd'hui, je vous propose une expérience facile, amusante et scientifique.
Qu'est devenue la musique des années 70 ?
Il nous reste quelques piles de disques vinyles que nous conservons religieusement, mais aussi toutes les cassettes poussiéreuses et démagnétisées dont nous ne savons que faire.
Rendez-vous dans un champ correctement ventilé, ouvrez n'importe laquelle de ces cassettes et libérez le ruban magnétique.
Vous le verrez s'élever dans le ciel à la manière d'un cerf volant auto-porté, décrivant moult arabesques et provoquant aussitôt un attroupement d'admirateurs, car en plus d'être joli, ça intrigue.
Ne vous laissez pas distraire et faites comme le pêcheur à qui on demande si ça mord : affectez une mine bougonne et grommelez pour tenir les curieux à distance respectable.
Puis, à la fin du premier ruban, vous accrocherez le début d'un autre que vous déroulerez également, et ainsi de suite.
Faites le calcul : à raison de 150 m de ruban par cassette de 90 mn, une petite centaine de cassettes vous permettra de quitter la troposphère pour gagner la stratosphère.
Là s'interrompt votre expérience, car à cette altitude la température avoisine les -50° Celsius.
Le ruban devient cassant : il s'éparpille en confettis magnétiques, donnant une pluie de notes, un brouillard sonore comparable à ces voix radiophoniques qui s'envolent pour aller on ne sait où.
Encouragé par ce premier succès, vous allez pouvoir passer aux choses sérieuses : je veux parler d'un véritable engagement corporel.
On sait qu'une chevelure humaine totalise en moyenne 100 000 follicules produisant chacun 12 cm de cheveux par an.
Si vous êtes resté fidèle aux années 70, vous possédez bien 15 à 20 cm de tignasse.
C'est largement suffisant pour ce qui va suivre.
Vous raserez soigneusement l'intégralité de votre tête à l'exception d'un seul cheveu au bout duquel vous collerez un autre cheveu puis un autre et encore un autre, jusqu'à obtenir une longueur de 20 000 mètres.
Vous retournerez dans le champ correctement ventilé.
Votre unique cheveu s'élèvera dans la troposphère, quittera bientôt la stratosphère et, porté par le jet stream, il gagnera le royaume du vide et de l'apesanteur.
Ceux qui ont cru s'y rendre avant vous en ont toujours été séparés par une capsule ou un scaphandre.
Vous serez le premier à entrer en contact physique avec l'espace extra-atmosphérique.
Votre cheveu flottera dans les contrées mirifiques comme un fil d'Ariane, comme un lien subtil avec le cosmos.
Pour améliorer le dispositif, il est suggéré de faire préalablement passer votre antenne dans la lumière d'un entonnoir qui, posé sur votre tête, fera office de parabole.
Nous sommes le 29 mars et c'est la pleine lune.
N'hésitez pas à interpeller l'astre merveilleux de la manière la plus directe :
Allô ! La lune ?
A l'autre bout de fil, on pourrait bien vous répondre.
Vous sentez comme le courant passe ?
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


OREILLE

En 1973, l'acteur Michael Caine est en train de tourner un film d'espionnage.
ça s'appelle « pour une poignée de diamants ».
Un agent britannique infiltre un réseau de trafic d'armes en provenance de l'URSS.
On s'attend à un scénario convenu et manichéen, mais un détail curieux mérite notre attention : pour éviter d'être démasqué, l'espion doit se laisser pousser les poils des oreilles.
L'idée du scénariste, c'est que les occidentaux ont l'habitude de se couper le poil des oreilles, ce qui n'est pas le cas des Russes.
Un tel postulat permet d'opposer avec habileté le raffinement de l'ouest à la rusticité de l'est.
Mais le scénariste qui se croit malin commet un contresens, car la pilosité auriculaire est un signe de progrès et le troisième millénaire n'y coupera pas.
Lorsque nous serons trop nombreux sur terre, nous finirons par manquer de place.
Alors, il nous faudra renoncer à notre corps.
Dans un premier temps, les purs esprits voudront se débarrasser de ce qui les déshonore , en commençant par les sécrétions honteuses et les touffes disgracieuses.
Pour finir, tout ce que nous sommes sera stocké sous forme de données informatiques et nous échangerons des hormones virtuelles par internet.
Cela nous permettra d'éprouver des sensations propres et contrôlées.
Que restera-t-il alors de notre humanité physique ?
Rien du tout, si ce n'est un petit organe docile qui se contente de ce qu'on lui donne, une toute petite chose molle que l'on peut tirer ou pincer affectueusement.
Des études récentes ont prouvé que l'oreille consomme et ne conteste pas.
Une planète tapissée d'oreilles se gouverne à la perfection.
Malheureusement, l'être humain a quelquefois besoin de s'exprimer.
Quand notre vilain naturel chassé du meilleur des mondes voudra y revenir, ce n'est pas le galop du cheval qui nous servira de modèle, mais sa crinière.
Or, que peut faire une oreille muette ?
Pas grand chose, sinon se laisser pousser les poils.
Voilà ce que sera notre culture.
Je ne suis pas le premier à défendre cette théorie pilotractée.
Vous connaissez Meddle, le magnifique album de Pink Floyd.
Observons la pochette.
Elle nous montre, en gros plan, une oreille bleue et velue, une oreille macroscopique qui préfigure la civilisation à venir.
Une oreille enfin ouverte sur le cosmos, à l'écoute d'une musique expérimentale où la guitare féerique de David
Gilmour succombe au chant lancinant du spoutnik.
Car nous sommes faits pour nous adresser aux étoiles en attendant qu'elles nous répondent.
Quand la terre ne sera plus qu'un grand champ de poils auriculaires balayé par les vents polaires, j'arpenterai les espaces givrés, interrogeant la toison palpitante comme le faisait en son temps le bon Docteur Knock :
« ça vous chatouille, ou ça vous gratouille ? »
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


SURVIE

La fin du monde est un spectacle dont on ne se lasse pas.
Depuis les saintes écritures de la haute antiquité jusqu'aux effets spéciaux du cinéma actuel en passant par la peinture apocalyptique moyenâgeuse, tous les supports sont bons pour la représenter.
Dans la bande dessinée des années 70 , le cataclysme est nucléaire.
Nous avons généralement droit à UN survivant.
Il est ahuri, vêtu d'un treillis militaire, mitraillette en bandoulière, titubant dans les décombres calcinés à la recherche d'un peu de nourriture et accessoirement d'une personne du sexe opposé avec qui il entend déjà repeupler la planète.
C'est le style «Métal hurlant».
Aujourd'hui, avec les progrès de la science, les perspectives sont devenues plus engageantes.
L'explosion atomique est remplacée par une bombe propre ou un virus subtil qui laisse le monde intact, simplement nettoyé de son encombrante humanité.
L'unique survivant devient propriétaire de toutes les richesses.
Imaginez que vous soyez le bienheureux gagnant de ce gigantesque loto.
Vous vous réveillez par exemple dans un Paris désert et tout vous appartient.
Que faites-vous ?
Tout d'abord, vous essayez de faire démarrer un bolide rouge de marque italienne au volant duquel vous parcourez la capitale à vive allure en brûlant tous les stop pour vérifier qu'il n'y a bien personne d'autre que vous.
Une fois rassuré, vous entrez dans un restaurant prestigieux et vous attablez devant une bouteille supra-millésimée.
Un peu plus tard, vous décidez de passer votre première nuit à l'Elysée.
Le lendemain, vous installez vos bureaux au sommet de la tour Eiffel d'où vous pouvez contempler votre univers.
Vous vous dites que vous auriez aimé être un artiste...
Alors vous investissez la scène du Palais Omnisport de Bercy pour une durée indéterminée ; et c'est là que vous avez votre premier coup de blues, car personne n'est là pour vous admirer et saluer votre réussite.
Vous avez une voiture rouge et un grand appartement, mais personne n'est là pour vous jalouser.
Vous êtes malheureux, mais vous avez grandi.
Vous venez de comprendre que la matière n'est rien : seule la beauté compte.
Vous gagnez le Musée du Louvre par quoi vous auriez dû commencer.
La Joconde est là qui vous attend, votre Joconde.
Dégagée de son blindage vitré, extirpée de son cadre doré, elle est plus belle encore.
Mais elle a toujours ce fameux sourire, à la fois triste et narquois, qui vous insupporte ; le sourire de celle à qui on demande : « alors heureuse ? » et qui semble répondre : « tu as eu mon corps, mais jamais tu n'auras ma beauté ».
Comment le maître du monde va-t-il réagir ?
Vous avez raison, il faut lacérer cette toile insolente.
Comme ça, s'il n'en reste qu'un, vous serez vraiment celui là.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


CHAUVE-SOURIS

Au début des années 70 nous annoncions le grand retour à la terre, et partions faire de l'élevage sur les plateaux du sud ouest.
Bon nombre d'entre nous s'en revint, refroidi par la pénibilité d'une vie rurale et qui plus est communautaire.
Que d'efforts pour quelques fromages de chèvres bradés sur les marchés locaux.
Le principe était pourtant bon et je continue à le défendre en l'enrichissant des quelques idées fortes que je dois à des circonstances récentes.
Sous la petite clinique de La Leu, nous avons découvert des caves somptueuses.
Entre Beauce et Perche le sol est argileux, donc impropre à ce type d'aménagement.
Pourtant, la clinique a été construite sur un incroyable jeu de voûtes, de colonnes, de perspectives troublantes.
Un escalier dérobé nous immerge dans la féerie du silex,
l'intelligence du volume, le graal de l'architecture.
J'ai cru y déceler le savoir-faire des cathares, des bouddhistes et des celtes réunis.
Les chauves-souris de la région s'y réfugient par centaines de milliers.
Ainsi l'idée m'est-elle venue d'en organiser la traite.
Ces petits mammifères nous offrent un lait équilibré, riche en oligo-éléments et particulièrement savoureux pour qui s'y habitue.
Plusieurs journées d'un travail délicat sont nécessaires pour obtenir la valeur d'un dé à coudre.
C'est justement ce qui rend la substance précieuse et commercialement intéressante.
Dans la hiérarchie alimentaire , qu'y a t il de plus coûteux que le caviar d'Iran ?
Le lait de chauve-souris, assurément et très largement.
A ce tarif, une meule de Beaufort au lait de chauve-souris aurait plus de valeur que la couronne de la reine d'Angleterre avec ses diamants.
Une bijouterie de la place Vendôme ferait figure de quincaillerie devant l'étal d'un fromager calvi souricier.
Il y a là de quoi modifier la géopolitique planétaire, de quoi révolutionner l'économie mondiale.
Prenons la Colombie où vit une minuscule chauve-souris appelée vampire dont on sait qu'elle se nourrit de sang de bœuf.
Elle produit un lait sublime et tonifiant.
Si les cartels de la drogue s'y intéressaient, gageons qu'ils s'autodémantèleraient, tant l'exploitation du lait de vampire leur serait plus profitable.
Ce n'est là qu'un exemple qui tend à prouver que l'humanité est en passe de trouver salut et prospérité dans cette nouvelle forme d'élevage.
Oui, le monde s'enrichira, tandis que, dans les sous sols de la clinique, nous continuerons à prélever laborieusement nos quelques centilitres de liquide nourricier aux vertus diététiques, consacrant le grand livre de l'humanité où il est dit que travail et frugalité sont les deux mamelles de la longévité.
Peter Gabriel avait raison qui préconisait au point culminant de Génésis : you are what you eat, eat well !
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


PROUST

A la frontière de la Beauce et du Perche, se trouve la petite clinique de La Leu que j'administre avec la rigueur que vous savez.
Nous vivons bien à l'écart du grand monde ; pourtant, il y a chez nous beaucoup de passage.
Certains jours, ce sont des colonnes de véhicules, des successions de michelines, des embouteillages d'autocars radieux.
Où vont donc ces passagers qui expriment déjà la quête du spirituel et bientôt la trouvaille du détachement ultime ?
Vers quel sanctuaire de l'humanisme s'acheminent-ils ?
On pourrait tout d'abord penser à la clinique de La Leu ou bien dans le même registre, à la cathédrale de Chartres.
Eh ! Bien, non. Ils s'en vont tous en pèlerinage à Illiers Combray.
Illiers Combray, gentille bourgade voisine où se trouve la maison de Marcel Proust transformée depuis en musée par ses héritiers spirituels auto-proclamés.
Je suis par nature incapable de jalousie, tant qu'aucune comparaison ne m'est défavorable, mais là, justement, quelque chose me titille.
Pourquoi tant de ferveur pour un auteur poussiéreux, et pas un regard en direction de mon établissement ?
Intrigué par cet inexplicable succès, j'ai profité de la nouvelle lune pour me rendre dans la nuit de dimanche à lundi au domicile de l'écrivain disparu.
J'ai escaladé le mur du jardin, poussé la porte de la maison puis gravi l'escalier que j'ai trouvé étriqué et pour tout dire dépourvu de caractère.
La chambre de Marcel Proust m'a également déçu : austère, de faibles dimensions avec une forte odeur de renfermé.
Mais lorsque je me suis allongé sur le petit lit, j'ai été gagné par une sorte d'état flottant que j'ai identifié comme une forme de métempsycose.
La lanterne magique s'est bientôt mise à tourner, Marcel est apparu en chair et en ombres, aimable et détendu.
Nous conversâmes longuement et lorsqu'il fut question des pensionnaires de la clinique, il eut ce commentaire définitif : ce sont des soixante-huitards qui ne se désoixante-huitardiseraient que si tous les soixante-huitards voulaient se désoixante-huitardiser.
Après quoi, il s'évanouit.
De retour à La Leu, je méditai cette dernière phrase et finis par saisir le fabuleux message de Marcel Proust :
« Des soixante-huitards qui se désoixante-huitardiseraient »...
L'auteur des phrases les plus longues venait de m'offrir le plus long mot de la langue française.
Désoixante-huitardiseraient dépasse en audace et en longueur anticonstitutionnellement .
C'est un mot nouveau.
Il m'appartient, mais à mon tour je vous l'offre et vous en communiquerai hors antenne l'orthographe précise.
Il figurera sans aucun doute dans la prochaine dictée de Bernard Pivot, dictée à l'énoncé de laquelle vous serez invité et avantagé puisqu'initié.
Lorsque Bernard bonhomme derrière ses lorgnons embués de plaisir annoncera : « pour l'édition 2003 , dico d'or : Serge Levaillant »,vous aurez peut-être une pensée pour moi et , qui sait, quelques sanglots dans la voix en évoquant la petite clinique de La Leu que vous avez vu naître.
Quand on part à la recherche du temps perdu, on finit toujours par trouver quelque chose.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


CATHEDRALE

Dans ma vie, j'aimerais faire quelque chose de bien, quelque chose de vraiment bien ;
par exemple : une cathédrale.
Une clinique aurait pu suffire, seulement voilà : une cathédrale, ça donne un sens réel et définitif à votre existence.
Il y a là de quoi calmer pour un temps bien des vertiges métaphysiques.
Attention, je ne suis pas en train de vous parler religion ;
il ne s'agit pas de célébrer quelque culte que ce soit, fût-il celui de ma personnalité.
Non, je veux construire une cathédrale pour la beauté de l'édifice et aussi pour des raisons d'ordre pratique.
J'ai longtemps songé à organiser des festivals de rock progressif, mais la clinique s'y prête mal.
Imagineriez-vous Pink Floyd, Les Doors, Van Der Graaf Generator jouant dans une salle d'attente ou un bloc opératoire ?
Ça ne collerait pas.
Pour leur musique il faut un volume, une acoustique, un décor grandiose.
Et puis il faut de l'orgue.
Quand j'inviterai Peter Hammill à jouer en ma cathédrale, je suis sûr qu'il voudra utiliser les grandes orgues.
Et il aura raison.
Pour que cela soit, le nouveau gouvernement doit impérativement financer l'intégralité de mon projet architectural.
Dans l'hypothèse (toujours envisageable) d'un refus, je pense opter pour la récupération d'un bâtiment préexistant.
Une usine peut être, ou mieux, une centrale nucléaire désaffectée.
Attendons un peu qu'une panne survienne et je pourrai acquérir mon établissement pour un Euro symbolique.
Quelques aménagements intérieurs, les cheminées encore fumantes coiffées d'une croix, d'un croissant ou d'un logo mystique de mon invention et le tour sera joué :
J'aurai ma cathédrale.
D'ici là , et à titre provisoire, les nuages offrent une alternative tout à fait acceptable.
Il en est des gigantesques.
Je pense aux cumulonimbus, ces tours aveuglantes de blancheur à leur base dont le sommet va s'évasant et s'assombrissant jusqu'à la stratosphère pour mieux gronder les anges.
Ce serait une église éphémère à géométrie variable.
On peut également tomber sur un nuage atomique, en forme de champignon.
Dans ce cas, nous l'appellerons cathédrale du jugement dernier ou cathédrale de Minuit et la messe sera dite.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


NIKI

A la clinique de La Leu, nous venons d'inaugurer un service :
il s'agit de l'atelier d'ergothérapie consacré à la sculpture.
Pourquoi la sculpture ?
Parce que la sculpture, c'est facile comme la cuisine.
Vous prenez de la terre, pétrissez, modelez, laissez sécher, ajoutez quelques jolies couleurs et :
Oh ! L'oiseau. Oh ! L'éléphant.
- ça vous plaît ? Cadeau !
En général, on vous répond :
- tu es sympa, mais je n'ai plus de place.
Quand on ne vous dit pas :
- C'est quoi ce machin ? On dirait du Niki de Saint Phalle.
Ça veut dire quoi du Niki de Saint Phalle ?
Ça veut dire de l'art contemporain qui doit sa réussite à l'élitisme roublard des imposteurs autant qu'à la crédulité d'un public en manque de repères culturels.
Ça veut dire : mièvre et sans substance.
Niki de Saint Phalle est morte dernièrement.
Il n'est pas inintéressant de considérer son parcours.
Née en 1930, elle a été violée par son père à l'âge de onze ans.
Plus tard, elle a bien évidemment erré de dépressions nerveuses en hôpitaux psychiatriques.
Un jour, lors d'une convalescence, l'art s'est imposé à elle comme une nécessité.
Des années durant, elle a composé une œuvre faite de tableaux assassinés et d'armatures métalliques torturées.
Dans le genre mièvre, on doit pouvoir trouver plus convaincant.
Mais Niki de Saint Phalle, en est sortie réconciliée avec la féminité et la vie.
Désormais, ses œuvres vont célébrer le bonheur et la liberté d'être.
Plus de monstre sanguinaire, mais des dragons inoffensifs et multicolores.
L'artiste devient mondialement célèbre avec ses « nanas », petites sculptures exubérantes, dodues et chamarrées.
Le ridicule sac à main qu'elles balancent parfois à bout de bras n'est plus qu'un rappel comique des convenances dont elles s'affranchissent avec allégresse.
En plus de tout cela, Niki nous laisse un moyen infaillible de trouver l'amour à Paris.
C'est très facile : un jour de beau temps, vous conduisez la personne à séduire dans le quartier de Beaubourg.
En bordure du centre Georges Pompidou se trouve la fontaine Stravinski.
Inaugurée en 1983, elle fût conçue dans les années 70 par Niki de Saint Phalle et son amoureux Jean Tinguely.
Sur un bassin grand comme une piscine sont disposées d'étranges sculptures monumentales.
Elles ont pour nom : la clef de sol, le serpent, l'oiseau de feu, l'éléphant, la mort, l'amour...
De temps à autres, tout ce petit monde s'anime, mu par la seule force de l'eau.
A ce moment, les promeneurs sont légèrement éclaboussés, comme par des rires d'enfants.
C'est alors qu'il faut prononcer la phrase magique : « mets tes mains dans le dos, ferme les yeux et ne bouge pas quoiqu'il arrive ».
Vous n'avez plus qu'à embrasser la personne désirée, elle se laissera faire.
Dans le cas très improbable d'un refus, venez donc faire un peu de sculpture à la clinique.
C'est l'autre moyen de donner forme à ses rêves.
Pétrissez, malaxez, modelez ... n'arrêtez surtout pas :
le bonheur est au bout des doigts.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


NATHALIE

En 1971 César, sculpteur enfantin et grand assembleur de ferrailles, a fait scandale en confiant une motocyclette neuve à la presse industrielle de Gennevilliers.
Le résultat de l'opération a pour nom : compression Honda 125 cm3.
L'œuvre n'est pas choquante : elle est mystérieuse.
Dense et impénétrable, elle est fripée comme une noix :
Qu'y a-t-il à l'intérieur ?
Un secret bien sûr.
Et César sait comme nous aimons les secrets.
Voyez par exemple cette toile de maître en cours de restauration dans les ateliers du Louvre.
Voilà que sous la peinture on découvre l'existence d'un autre tableau.
Il s'agit probablement d'un raté mais qu'importe, nous sommes intrigués.
Le tableau dissimulé traduit peut-être mieux l'artiste que la peinture visible.
Ce qu'on a voulu nous cacher finit par occulter ce qui nous est montré car le souterrain fait rêver mieux que le château.
A la clinique de La Leu, nous aimons beaucoup la peinture et tout particulièrement la peinture de Nathalie Lemaître.
La superposition des couleurs et des matières s'y établit sans réel masquage, livrant au regard plusieurs images possibles au gré du jeu de la transparence et de l'opacité.
Comme éclairée de l'intérieur, la toile évoque le vitrail d'une cathédrale abyssale : l'inconscient s'y noie et s'y retrouve.
Les professionnels qui ont le sens de la formule parlent de « l'âme dans tous ses éclats ».
Nathalie est installée tout près de chez nous ;
un souterrain relie la clinique à son atelier.
Nous l'empruntons en file indienne, silencieux comme des sioux, et arrivons au cœur d'une maison enchantée.
Nathalie nous accueille d'un sourire, nous la regardons peindre.
Comment une ravissante blondinette peut-elle faire des choses aussi violentes et vertigineuses ?
C'est le pouvoir des fées.
Aucune machine à emboutir n'a la force de sa peinture, aucun chalumeau n'en a l'ardeur.
Pour elle, un jour, nous déplierons la compression Honda 125cm3.
Patiemment, nous détordrons la ferraille, reformerons la tôle, ressusciterons la moto rutilante de notre adolescence.
Que trouverons-nous alors, bien caché au fond du réservoir ?
La clef de contact, tout simplement.
Il n'en faudra pas davantage pour emporter Nathalie dans quelque longue ballade sur les routes de la Beauce et du Perche.
C'est une région pleine de mystère.
Ce que nous y ferons relève déjà du secret.
Si vous voulez savoir, interrogez les grandes sculptures énigmatiques :
Esprit de l'amour, es-tu là ?
Ave, répond César, je vous souhaite un prompt rétablissement.


ANGUILLE

Il se pourrait que les années 70 n'aient jamais existé.
Il s'agit peut être d'une légende, d'un grand fantasme collectif, voire d'une religion.
On serait alors en droit d'espérer quelques apparitions significatives.
Le miracle se produit chaque année dans les rues vers la fin du mois de mai avec le retour fantomatique de la fille en minijupe.
La fille en minijupe n'existe pas car on ne peut pas la toucher.
Le garçon la suit du regard tandis qu'elle disparaît comme un mirage.
Il en conçoit le vif regret de ne l'avoir pas abordée, de ne l'avoir pas accompagnée jusqu'au bout de son monde parallèle.
Où l'aurait-elle emmené ?
Dans quelles contrées mirifiques se fut-il englouti, dans quel triangle des Bermudes ?
Alors le garçon devient fou.
A la clinique expérimentale de La Leu nous connaissons bien ce trouble et le traitons selon une méthode simple et bucolique.
La pêche à l'anguille donne à ce jour les meilleurs résultats.
L'anguille se braconne de préférence la nuit, dans les rivières d'Eure et Loir.
C'est un poisson délicieux aux mœurs tout à fait remarquables.
L'anguille européenne n'hésite pas à accomplir un périple de 5000 km pour aller se reproduire dans la mer des Sargasses, au large de l'archipel des Bermudes.
C'est là qu'elle meurt après avoir frayé.
Les bébés anguilles accomplissent le même trajet en sens inverse, pour venir grandir tout près de nos hameçons.
Plus tard, devenus adultes, ils retourneront dans la mer des Sargasses qui est l'endroit le plus mystérieux de notre planète.
Les récits font état d'une zone de calme plat et vent nul.
Après une nuit d'errance, les navires se retrouvent au petit jour immobilisés sur une sorte de prairie marine faite d'algues gigantesques évoquant des bras de pieuvres monstrueux.
En principe, nul n'en revient.
Des milliers d'avions s'y sont abîmés, dont on n'a jamais retrouvé la trace.
Renoncez à l'anguille en matelote ou au court bouillon : elle est bien meilleure grillée.
Quand vous l'ouvrirez dans le sens de la longueur, vous y découvrirez bien des trésors : figures de proue, morceaux d'hélices, ailes tordues, compas de marins, casquettes d'aviateurs, rêves de minijupe...
Eh ! Oui, elle est comme nous, l'anguille : elle aurait voulu mourir dans le triangle des Bermudes.
Allez, sans rancune et bon appétit !
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


COLIBRI

Il existe, entre Beauce et Perche, un couloir aérien qui va de la base militaire de Chateaudun jusqu'à l'aérodrome de Vernouillet.
Ce corridor est aujourd'hui désaffecté et c 'est tant mieux car il passe à la verticale précise de notre petite clinique de La Leu.
La nuit toutefois, un gros hélicoptère sinistre nous survole de temps à autres.
Il arrive aussi qu'un mirage s'amuse à passer le mur du son.
Il y a enfin ces lumières, vives comme l'éclair, émises par des engins beaucoup plus rapides.
Ce sont les essais top secret défense... nous n'en savons pas d'avantage.
Dans la région, on dit « les essais » ;
La voix baisse alors d'un ton, on ne se signe pas mais c'est tout comme.
J'ai pris des cours de pilotage sur la base militaire de Chateaudun, ou plutôt sur ce qu'on veut bien nous en montrer.
Concernant les fameux essais, tout le monde est bien évidemment discret.
Il y a juste une rumeur selon laquelle il serait question de frôler le mur de la lumière.
D'après Einstein, la vitesse de la lumière ( C=300 000 km/s) ne peut être dépassée.
Si elle était simplement atteinte, la matière n'existerait plus.
Mais Einstein nous enseigne aussi la relativité qui rend toute chose possible pour peu qu'on veuille bien la considérer du point de vue approprié.
A Vernouillet vit Denis Rougier devenu docteur en physique acoustique.
Je dis « devenu » car au milieu des années 70, il travaillait pour Ange, Magma et Van Der Graaf Générator.
Je sais qu'il vous arrive d'accueillir dans cette émission les leaders charismatiques des groupes précités.
Interrogez-les hors antenne :
Ils se rappelleront probablement Denis Rougier, petit ingénieur du son aux allures de lutin sauteur qui les a suivi sur différentes tournées.
Entre temps, Denis a commis quelques essais littéraires parmi lesquels figure un remarquable traité sur le colibri.
Installons Denis aux commandes d'un avion hypra-supersonique dernier cri et faisons le décoller de la base de Chateaudun.
Lorsqu'il survolera la clinique, il aura atteint sa vitesse maximale de C-1km/h.
Mais Denis a dans la tête un colibri, capable de vol stationnaire comme des accélérations les plus foudroyantes.
Si le colibri va du lobe occipital jusqu'au lobe frontal, il atteindra la vitesse de 2km/h par rapport à l'habitacle de l'avion.
Il aura donc acquis une vitesse relative de C+1km/h par rapport à la clinique, franchissant alors le mur de la lumière.
A cet instant précis, le colibri et la clinique n'existeront plus l'un pour l'autre car la clinique aura elle même franchi le mur de la lumière (en tout cas pour le colibri).
Le colibri que nous avons dans la tête est un organe essentiel.
Il n'est rien de moins que la conscience de tout ce qui pourrait disparaître ou a déjà disparu, la conscience du monde visible et invisible.
A part ça, le colibri est un petit oiseau comme les autres : bien bichonné, il se met à gazouiller et peut franchir l'infranchissable.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


POSTER

Pour beaucoup d'entre nous, 1976 restera l'année torride.
Chacun se rappelle un été caniculaire.
Mais pour les adolescents de l'époque, l'échauffement n'était pas seulement d'ordre climatique.
En ces temps exquis, point besoin n'était d'acheter des revues conditionnées sous cellophane.
La volupté s'étalait sur les murs de la chambre, intercalant des jeunes filles nues avec nos pop stars favorites : c'était l'ère des posters.
Les posters, dont l'intérêt décoratif n'a jamais fait l'unanimité familiale, les posters devenaient l'objet de notre attention toute particulière quand arrivaient les heures intimes de la nuit.
Ce qu'il se passait alors relève du secret ; mais trente ans plus tard, nous pouvons bien faire quelques révélations.
Une fois la lumière éteinte, les créatures s'animaient et descendaient de leur affiche.
Des couples se formaient au gré de la pénombre.
Tandis que s'activaient les bergères avec leurs doux ramoneurs, il nous était donné de suivre nos premiers cours d'éducation sensuelle.
J'ai bien vu ce que faisait Mick Jagger avec une lolita Hamiltonienne.
J'ai bien vu ce que faisait Janis Joplin avec une Harley Davidson, ce que faisait Jimmy Hendrix avec sa guitare.
Et Andy Warhol avec Marylin Monroe.
Et Jim Morrisson avec Angela Davis.
De ces amours insolites nous savons aujourd'hui qu'elles n'ont pas été stériles.
Des enfants sont nés un peu partout, irréels et sans état civil.
Ce sont les fantômes des années 70.
Ils errent dans l'attente d'une reconnaissance et d'un support.
Accueillons-les : ils sont le génie flottant qui manque à notre époque.
Pour que l'esprit se manifeste, il faut lui faire de la place.
Je propose que nous libérions tous les espaces publicitaires.
Si nous finançons des campagnes vierges, nous obtiendrons des affiches blanches, des magazines aérés, des écrans vacants.
Le génie, qui n'aime pas le vide, s'y installera peut-être.
Si cela ne suffit pas, débarrassons tous les médias de l'intégralité de leur contenu.
Nous éviterons toutefois les silences radio, notamment sur cette antenne où le génie s'exprime en permanence, surtout la nuit et particulièrement à la minute où je vous parle.
En attendant que revienne le temps joli des posters au-dessus du lit, cajolez bien tous vos fantômes.
Ils ont besoin de vos caresses comme vous aviez besoin des leurs.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


PLURIEL

En 1975, le groupe Pink Floyd présente un nouvel album.
La chanson d'ouverture a pour titre : Shine on you crazy diamond.
« Rappelle-toi quand tu étais jeune »...
« Tu pleurais pour la lune »... etc... etc...
Nous sommes devenus des adultes et avons trahi notre adolescence, dit en substance la chanson.
C'est cruel, poétique, pertinent, mais le texte est difficile à traduire car l'anglais confond le tutoiement avec le vouvoiement de telle sorte qu'on ignore si David Gilmour s'adresse à plusieurs personnes, à une seule ou bien à lui-même.
Cela ne change rien au propos, mais nous interroge sur la bienséance : faut-il tutoyer ou faut-il vouvoyer ?
J'ai longtemps préféré le tutoiement, direct et chaleureux.
Dans les années 70, quelques professeurs se laissaient tutoyer ; ils n'en étaient pas moins respectés.
Les mêmes raisons de prise en compte de la personne m'amènent aujourd'hui à préconiser le vouvoiement.
Un être humain ne peut se résumer à une seule de ses composantes :
En chacun de nous, il y a un génie, un imbécile, un mesquin, un généreux, un peureux, un courageux...
Car nous sommes multiples, nous sommes pluriels.
Tutoyer quelqu'un c'est le réduire, c'est nier sa singularité qui justement tient à sa multiplicité.
Le singulier n'existe pas, c'est une faute de langage exprimant une erreur d'appréciation.
Tout est pluriel.
Les objets le sont aussi, il nous faut sans plus tarder apprendre à les vouvoyer.
Nous devons appréhender l'objet dans sa pluralité structurelle.
Vous pourrez commencer dès demain, au réveil.
Vous regarderez votre tasse de café et direz : « bonjour les cuillères, bonjour les tasses, bonjours les petits déjeuners. »
Et le petit déjeuner, la tasse, la cuillère vous répondront :
« Bonjour vous tous, comment vont-ils ?
Vous vous sentirez redimensionné.
Vous passerez à la salle de bain, ouvrirez les portes de l'armoire à pharmacie qui sont autant de miroirs dans lesquels vous vous multiplierez, retrouvant le vous de vos 18 ans, le vous de vos 5 ans, le vous de maintenant.
Il faudra bien que vous vous rendiez quelques comptes :
Qui a trahi qui ?
Qui n'a pas été à la hauteur ?
Qui est le maillon faible du rêve de votre vie ?
Alors vous vous demanderez pardon et déciderez de vous accorder une nouvelle chance.
Le vous même de plus tard hochera la tête, bienveillant et satisfait.
Vous éprouverez une sorte de paix intérieure mêlée de fatigue soudaine.
Vous vous distribuerez à la cantonade quelques comprimés d'aspirine et retournerez vous coucher.
N'appelez pas le médecin : il pourrait encaisser le prix de plusieurs visites.
écoutez plutôt Pink Floyd.
Shine on you crazy diamond contient l'ordonnance délivrée sous forme de conseil :
« Remember when you were young »
Rappelez-vous quand vous étiez jeune.
Comme vous étiez joli !
Comme vous vous sembliez beau !
N'étiez-vous pas le phénix des hôtes de vous-même ?
Allez, brillez mes petits diamants fous !
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


RAGONDIN

Construite au bord d'un affluent du Loir, ma petite clinique se trouve naturellement impliquée dans la gestion de l'écosystème ambiant.
Ainsi ai-je entendu parler de la prolifération du ragondin.
L'histoire commence au début du XX ème siècle.
Le commerce de la fourrure est alors florissant.
Pour concurrencer l'élevage du vison, on a l'idée de faire venir d'Amérique un gros rongeur au pelage somptueux : le ragondin.
Quelques décennies plus tard, le ragondin n'est plus à la mode : on le noie.
Toutefois, par jeu ou par accident, quelques cages sont ouvertes.
Les rescapés ne tardent pas à coloniser l'ensemble du territoire, occasionnant les pires dégâts aux abords des rivières.
Dès lors, le ragondin est décrété grand nuisible et son extermination décidée.
A cette noble fin, on autorise divers procédés ingénieux et autres battues où l'homme peut se montrer d'une grande élégance.
Dans ce climat de fureur enthousiaste, personne n'a songé à prendre la défense du ragondin.
Je me propose donc de le faire, de manière dépassionnée, simplement pour rééquilibrer le débat.
Le ragondin ressemble à un martien : il est étonné de se trouver ici.
Physiquement on peut le comparer à la marmotte.
Vautré sur un canapé, il est câlin comme le chat et regarde la télé en poussant des petits grognements satisfaits.
Mais sa domestication est formellement interdite.
La conseiller serait une incivilité.
Il va donc me falloir trouver autre chose.
L'argument plaidant en faveur de la protection du ragondin m'a incidemment été suggéré la semaine dernière, alors que je me trouvais à Paris.
Rue Galande, dans un vieux cinéma d'art et essai, on continue à projeter : The Rocky horror picture show.
Réalisée en 1975 par Jim Sharman d'après l'œuvre de Richard O'Brien, cette comédie musicale filmée doit son succès ininterrompu à l'atmosphère particulière qui entoure chaque projection.
Les générations successives de spectateurs ont perpétué un rituel singulier fait d'interactivité entre l'écran et la salle.
On invective les acteurs, on chante à tue-tête et on balance du riz.
Beaucoup de riz, de quoi joncher le sol quand la salle se sera vidée.
Alors là, déclic !
Tout ce riz piétiné est désormais impropre à la consommation, mais pas à la culture.
L'étude poussée du ragondin met en lumière une remarquable spécificité biologique : ses larmes contiennent du trikoaxalate d'éthylium qui, associé au phosphore galacto-sodique que l'on trouve dans certaines météorites martiennes, donne par estérification azotée une molécule inédite capable de faire germer n'importe quel grain de riz sous nos latitudes frisquettes.
C'est dire qu'après adjonction de météorite concassée, l'eau de nos rivières ragondines permettrait à l'issue d'un premier arrosage, l'obtention de magnifiques champs de riz.
Un riz abondant, solide et généreux.
Le riz du studio Galande élevant enfin un rongeur mal-aimé au rang de l'intérêt public.
Ah ! Le chant du vent dans les champs de riz !
N'en jetez plus !
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


VIALATTE

Aujourd'hui, 3 mai, j'ai décidé de fermer ma clinique.
On n'a jamais bien su pourquoi les commerçants baissent le rideau de fer au passage des manifestations.
Est-ce en signe d'acquiescement ou de réprobation ?
Est-ce pour aller se joindre au cortège ou pour éviter de ramasser un pavé dans la vitrine ?
Si je ferme ma clinique, c'est uniquement pour évoquer Alexandre Vialatte, mort le 3 mai 1971.
Alexandre Vialatte était considéré par Pierre Desproges lui-même comme le maître incontesté de la chronique.
Dans ces conditions, il serait hasardeux de vouloir me réapproprier le genre.
Andy Warhol avait promis 5 mn de célébrité pour chacun d'entre nous.
Il a tenu parole : aujourd'hui tout le monde est chroniqueur ici ou là.
Les plateaux télévisés sont enguirlandés de chroniqueurs, les médias en sont constellés.
Les chroniqueurs sont des sortes de petits amplificateurs de la rumeur ambiante, et ce, quelle que soit la rumeur.
Alexandre Vialatte, écrivain lunaire, modèle de douceur et d'espièglerie, m'aimait pas le bruit.
Il aurait approuvé Alain Finkielkraut définissant ces jours-ci le bruit comme l'étalement intempestif de soi, c'est-à-dire le début de la barbarie.
Et la barbarie, Alexandre Vialatte connaissait.
En 1939, il avait instamment demandé sa mobilisation alors que son âge et son état de santé l'en dispensaient.
Détruit par les atrocités de la guerre, il s'était retrouvé interné dans un hôpital psychiatrique.
Ensuite, il lui avait fallu beaucoup de temps et d'amour pour se reconstruire de la plus belle manière.
Le résultat littéraire et humain peut donner de l'espoir à tous ceux qui tombent dans le gouffre.
Lorsque la clinique rouvrira, faites moi penser à prescrire Alexandre Vialatte, en commençant par les chroniques de la Montagne éditées chez Robert Laffont.
En attendant, j'ai toujours sur moi une boîte d'aphorismes de Vialatte.
Permettez-moi de vous offrir ces quelques échantillons :
-« L'homme n'est que poussière, c'est dire l'importance du plumeau. »
-« Le fond de l'air est frais. Sa surface aussi. »
-« Le bonheur date de la plus haute Antiquité. Il est quand même tout neuf car il a peu servi. »
Alexandre Vialatte disait aussi que la plupart des hommes ne meurent finalement que de chagrin d'amour.
Ce 3 mai 1971, il entre à l'hôpital pour subir une intervention bénigne qui va lui être fatale.
Avant d'être transporté en salle d'opération, il griffonne le début de sa chronique inachevée : « l'homme se compose en gros de 2 seaux d'eau, de quelques kilos de divers autres ingrédients et de très peu de fer ( même pas de quoi faire un clou). Ce qui ramène les chagrins d'amour... »
La phrase se casse ici, brisée net sans ponctuation ;
à chacun de trouver la suite.
Voici donc le joli mois de mai.
Méfions-nous des chagrins d'amour et surtout, par les temps qui courent, méfions-nous des chagrins de haine.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


HORODATEUR

Ce soir, je n'arrive pas les mains vides.
Je vous apporte l'objet rare.
S'agissant des années 70, nous avons, vous et moi, notre petit musée des horreurs.
Chacun exhibe avec fierté quelques trésors oubliés, quelques merveilles de laideur et de ringardise.
J'ai retrouvé la plus immonde des kitcheries, à la fois hideuse et trop insignifiante pour susciter le moindre attendrissement ou la moindre raillerie.
Rappelez-vous : le disque de stationnement.
Un vague morceau de carton que l'on retrouvait jauni derrière le pare-brise de la Simca 1000, tout gondolo ou mieux, dans son écrin de Skaï fondu marroneux à souhait.
Et à quoi ça servait-il donc ?
Ça servait à être aimable.
Vous faisiez glisser la rondelle de carton autour de son axe central à l'intérieur d'un cache dans lequel deux fenêtres avaient été aménagées.
Dans celle de gauche, vous affichiez votre heure d'arrivée, dans celle de droite apparaissait automatiquement l'heure à laquelle vous deviez au plus tard déplacer votre véhicule.
C'était gratuit et bon enfant.
C'était une manière de dire à la contractuelle : « coucou, je suis là mais ne fais que passer ; dans une heure au plus tard je serai parti. »
C'était donc à priori un objet modeste et sympathique.
C'était beaucoup plus que cela.
Le vilain petit canard du musée des années 70 détient les gènes d'un grand oiseau mythique.
J'ai récemment consulté quelques parchemins secrets dans une abbaye du XIII° siècle dont aujourd'hui encore il semble préférable de taire le nom, et voici ce que j'ai découvert :
Le disque de stationnement existe depuis la nuit des temps.
On en retrouve l'évocation dans l'ancien testament, dans la mythologie égyptienne et probablement dans le témoignage oral des Atlantes.
L'auréole de nos saints, l'aura du Bouddha, n'en sont qu'un reflet très atténué.
Le disque d'alors est beaucoup plus sophistiqué ; il nous dit : « coucou, vous ne faites que passer . Votre séjour dans l'existence est un stationnement momentané. »
J'ai pu retrouver les données mathématiques précises du disque originel et suis en train de les organiser dans un logiciel que je proposerai bientôt sur Internet.
Ce logiciel gratuit permettra de confectionner son propre disque de stationnement, un disque à la mesure du destin de chacun.
Il ne sera bien sûr pas question de déroger à la fatalité, car tout est écrit et depuis longtemps.
Mais, en faisant tourner votre disque, vous pourrez afficher les plus belles fenêtres de votre vie, et les faire revenir aussi souvent que bon vous semblera.
Avez-vous déjà passé une nuit de rêve avec une personne trop belle pour vous dont vous saviez seulement que vous ne la reverriez pas ?
L'instant pourra se répéter, toujours aussi unique et rare, avec la même tristesse qui vous étreint déjà.
Vous serez comme le petit prince qui tirait sa chaise toutes les cinq minutes pour voir un nouveau coucher de soleil.
Nous sommes le 25 janvier; il est 3 heures et 46 minutes .
N'avez-vous pas l'impression d'avoir déjà vécu l'instant présent ?
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


BANQUISE

Quand on demande à un enfant :
« Que feras-tu plus tard ? », il répond invariablement cascadeur ou juge pour homme politique.
Il dit aussi qu'il veut être roi ou staracademicien.
Ce n'est pas incompatible.
être roi n'est pas un travail, c'est un état.
C'est même un état dans l'état.
C'est comme être Dieu, sauf que Dieu, ça a une dimension internationale ; c'est plus difficile en terme de marché à conquérir.
Les patients qui viennent à ma consultation prétendent
vouloir être ceci ou cela.
Mais les conclusions psychanalytiques sont imparables : le désir profond est toujours le même.
Les patients veulent être rois.
Tout le monde veut être roi.
Comment devient-on roi quand on ne l'est pas à la base ?
Il faut trouver un royaume, une vraie terre qui vous appartienne et sur laquelle vous déciderez de régner.
Alors là, vous pouvez vous accrocher.
Aujourd'hui le moindre lopin, le moindre îlot est déjà rattaché à une république, à un royaume ou une dictature.
Croyez-vous être propriétaire de votre jardin ?
Sachez que le sous-sol ne vous appartient pas : quelques coups de pioche et vous n'êtes déjà plus chez vous.
Alors, comment faire ?
Hier 20 mars, il s'est produit au moment de l'équinoxe un événement qui offre des perspectives intéressantes.
Un morceau de banquise s'est détaché du pôle nord, un glaçon grand comme le duché de Luxembourg, un territoire immense qui va dériver dans les eaux internationales.
Un lieu donc qui pour l'heure ne peut appartenir à personne puisque ce n'est même pas une terre : c'est de l'eau.
J'engage dès à présent le postulant roi qui est en vous à louer un tractopelle pour le week-end.
Vous prélèverez la couche superficielle de votre jardin (30 cm d'épaisseur environ), et déposerez le tout dans un container .
Je me charge d'affréter un cargo qui apportera votre pelouse sur la banquise.
Vous serez le roi incontesté de cette nouvelle terre qui était déjà la votre.
Si vous ne possédez pas de jardin, n'importe quelle entreprise de démolition acceptera que vous la débarrassiez d'une benne de gravats dans laquelle vous déverserez quelques sacs d'engrais.
Vous obtiendrez un sol fertile et équilibré.
Un jour, malgré tout, la glace commencera à fondre et votre royaume itinérant sera en passe de disparaître.
Ce n'est pas grave.
Si le caractère éphémère des choses vous insupporte, si vous aspirez à la pérennité, vous n'avez qu'à créer un groupe musical mythique.
Dans les années 70, King Crimson avait imaginé tout un royaume fabuleux avec sa cour de créatures fantasmagoriques.
Les contrées inexplorées existent encore.
Pour s'en convaincre, il suffit de réécouter « In the court of the Crimson King ».
Je vous souhaite un prompt rétablissement.


PETROLE

Vous n'êtes pas sans savoir que les années 70 ont été marquées par le fameux choc pétrolier qui mit fin à la suprématie économique des pays du Nord.
De ce choc pétrolier nous subissons aujourd'hui encore les conséquences, mais avons-nous su tirer les bonnes conclusions ?
Avons-nous su capter le signal mystique que l'on nous adressait ?
Je ne le pense pas.
Nous avons seulement analysé la crise en termes d'économie et de politique, alors qu'il était question de réincarnation.
Tout près de la petite clinique de La Leu que je dirige activement , se trouve le menhir de Vieuvicq dont nous avons récemment parlé.
Au pied du menhir, les patients de la clinique ont découvert un puits, un authentique puits de pétrole.
Oh ! Rien d'intéressant pour les grandes compagnies .
Il y a juste, caché sous les ronces, un long boyau vertical dont les parois tapissées de briquettes, puis de silex, puis de rien du tout, disparaissent dans l'infini des profondeurs terrestres.
On y perçoit un bouillonnement lent, fait de grosses bulles et de paquets indistincts.
De temps à autres, il remonte à la surface une sorte de bitume noirâtre, une pâte chaude que les patients recueillent avec d'infinies précautions.
On sait que le pétrole est composé de végétaux et d'animaux que les strates du temps ont fini par recouvrir.
Le pétrole, c'est des forêts enfouies, des civilisations oubliées, des destins avortés, des passions qui ne demandent qu'à brûler.
Dans ce magma étrange, nous avons retrouvé quelques vinyles fondus, probablement des albums de Genesis, de King Crimson, du groupe Magma.
Nous avons aussi cru voir des amoureux transis, enlacés pour l'éternité.
Car d'un point de vue chimique, le pétrole agit comme une combinaison de la pâte de cristal avec le marc de café ; il nous parle de nous-mêmes.
Le pétrole dit qu'un jour, dans longtemps, les civilisations futures nous réveilleront.
Alors, nous les coifferons d'un couvercle flottant dans l'atmosphère, puis nous les ensevelirons comme elles nous auront exhumés.
Les plus brutaux d'entre nous finiront dans le goudron, les plus raffinés iront dans les éthers.
Ce jour-là, un cabriolet Triumph Herald emportera deux tourtereaux énamourés pour quelque balade ensoleillée sur les routes du Perche.
Je serai dans le réservoir, réincarné en plein d'essence, mais ils n'en sauront rien.
Ce sera le juste retour des choses.
Ce sera le juste retour des êtres.
En attendant cette ère ultérieure, je vous souhaite un prompt rétablissement.


DOCTEUR

La nuit dernière, un patient m'interpelle au détour d'un couloir.
Ou peut-être était-ce moi-même m'adressant à ma propre personne comme cela m'arrive quelquefois.
Je ou il, donc, m'interpelle :
« Dites-moi, Docteur... »
J'aime beaucoup qu'on m'appelle Docteur.
Peut-être même suis-je devenu Docteur exprès pour qu'on m'appelle Docteur.
C'est probablement le plus prestigieux des titres car il n'est jamais usurpé : on le doit à son mérite autant qu'à ses aptitudes initiales.
Quand on vous appelle Docteur, on vous investit d'une mission, on vous signifie votre importance.
Dans le même genre, il y a les avocats et les notaires qu'on appelle Maître, mais c'est moins bien.
La fonction est déjà moins respectée, peut-être à cause des études qui sont plus courtes.
D'ailleurs, pourquoi les appelle-t-on Maître ?
Parce que quand vous les demandez au téléphone, la secrétaire répond : je vous passe maître Untel, comme on lui a dit de dire.
Dans ce contexte, bonjour Monsieur risquerait de vexer l'homme de loi.
Ça pourrait même vous être préjudiciable, on ne sait jamais.
Alors, vous dites bonjour Maître, avec la désagréable impression de vous soumettre d'emblée.
Vous lui en voulez déjà, rien que pour cela, et les rapports s'installent sur de mauvaises bases.
Tandis qu'avec le bon docteur, vous pouvez y aller : le rapport des forces vous sera toujours favorable.
Le docteur se donnera du mal pour vous faire du bien.
Il vous donnera du bien et prendra pour lui une part de votre mal.
Et puis Docteur, ça le fait ; même pour un pseudonyme.
Prenez les docteurs Jekyll, Mabuse et autres Folamour.
Au lieu d'inquiéter, ils fascinent.
Vous vous appelez Doc Gynéco et on vous invite à faire une chronique tous les vendredi soir sur France 3.
C'est quand même pas mal .
La nuit dernière, un patient m'interpelle au détour d'un couloir :
- Dites-moi, Docteur, à propos de votre chronique sur France Inter, êtes-vous vraiment obligé de parler des années 70 ?
- Mais pas du tout, on ne m'oblige à rien. Pour les années 70, une simple allusion peut suffire.
Le patient à l'air satisfait.
Le voilà qui s'éloigne et disparaît dans la pénombre.
Tout est calme à présent.
On entend le vol des colibris.
L'infirmière d'étage s'est assoupie dans un hamac.
Sa respiration est douce.
On devine son pouls régulier, bien en phases avec les pulsations telluriques.
En se penchant un peu sur elle, on devrait capter toute la délicatesse d'un parfum : buisson fleuri avec une note de patchouli.
Il y a là de quoi soigner la terre entière.
Mais la voix du patient me rappelle :
- Docteur ?
- Oui !
- Docteur, je vous souhaite un prompt rétablissement.


DERNIERE

Cette nuit, profitant de la pleine lune, je me suis assis devant la clinique pour fumer une dernière cigarette.
Je sais, ce n'est pas bien pour un docteur de dire qu'il fume ; toujours est-il que j'allume une dernière cigarette, celle que Camus dans « La chute » appelle : la cigarette de la satisfaction.
La chute, vous le savez, c'est l'histoire de ce quadragénaire qui a tout réussi.
Un soir, après une journée très active, il allume une dernière cigarette et considère l'œuvre de sa vie.
C'est alors que tout s'écroule parce qu'au bout du compte, rien ne tenait la route.
Mais pour l'heure, je suis bien loin de penser à Camus.
Je goûte la douceur de l'été à peine entamé, tandis que mon établissement baigné de lune me renvoie l'image d'un succès mérité... quand l'incroyable se produit.
A cause de la fumée, je crois voir la clinique se tordre, un peu comme dans un tableau de Van Gogh.
Les murs commencent à se fissurer, des pans de crépi s'effondrent et c'est l'édifice entier qui se disloque.
Il s'en échappe une nuée de colibris suivis de quelques vaisseaux fantômes, de sirènes alanguies sur un morceau de banquise volante, d'anguilles frétillantes, de ragondins joyeux avec tout un élevage de chauve-souris.
Dans un grand vent tourbillonnant, ma collection de vinyles jaillit et se disperse comme un bouquet de pigeons d'argile.
J'ai juste le temps de reconnaître Génésis, Pink Floyd et bien sûr Peter Hammill.
Le silence revenu, il ne reste que ces longueurs de ruban magnétique frissonnant dans les effluves d'encens et de patchouli, franges dérisoires de ma clinique qui n'est plus.
Ma clinique à moi, ma jolie clinique de La Leu d'où je ne peux même plus vous téléphoner.
C'est donc depuis la Maison de Radio France que je présenterai ma quarantième chronique, bilan d'une entreprise thérapeutique dont je réalise aujourd'hui qu'elle n'a soigné personne.
Ces fameux traumatismes des années 70 sont finalement si peu de choses : quelques espoirs déçus, quelques rêves non réalisés, un tout petit prix à payer pour une formidable envie de vivre qui n'a pas pu nous quitter complètement.
Et ces quarante semaines consécutives qui m'ont offert un bel espace d'expression et de liberté dont je pense avoir largement profité.
Cette nuit la clinique disparaît car tout est toujours à reconstruire.
Quant aux années 70, elles n'ont peut être pas tenu la route, mais elles l'ont faite.
Dans une heure le jour se lève, l'été ne fait que commencer.
Je vous souhaite un prompt rétablissement.